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Les bouleversements maritimes,conséquences de la guerre en Ukraine

Photo du rédacteur: AAMHMAAMHM

Conférence donné le 17 novembre 2022 par Alain Oudot de Dainville, ancien chef d'état major de la Marine (CEMM) pour l'Association des Amis du Musée Martime de Saint-Malo.

Alain Oudot de Dainville a effectué une carrière pleine de près de 42 ans dans la Marine, débutée dans l’aviation embarquée sur les porteavions, poursuivie aux commandements, d’un avisoescorteur dans la guerre des pétroliers dans le golfe Persique, et d’un porte-avions en mer Adriatique dans les opérations de l’ex Yougoslavie. Il a occupé le poste de chef de cabinet du Chef d’état-major des armées pendant les opérations du Kosovo. Il a terminé sa carrière comme chef d’état-major de la Marine, avant de devenir pendant 7 ans président directeur général de la société d’armement sous contrôle étatique ODAS, chargée des contrats d’Etat à Etat avec des pays du Moyen-Orient. Aujourd’hui il continue à servir, comme professeur invité à la Sorbonne d’Abu Dhabi et comme chercheur associé à HEC, en partenariat avec le « Policy Center for the New South » à Rabat.


Les conséquences maritimes de la guerre en Ukraine


La chute du mur de Berlin a marqué la fin d’une ère stratégique, laissant la place à une hégémonie américaine, irréversiblement troublée par la montée en puissance chinoise Profitant d’une baisse de la croissance de la Chine, les Etats-Unis mettent la priorité sur la Russie .


Quelles qu’en soient les raisons la Russie s’est lancée le 24 février dans une opération militaire spéciale en Ukraine, quatrième événement majeur du siècle après le 11 septembre, la crise financière de 2008, sanitaire de 2020. Le bloc occidental dirigé par les États-Unis et incarné par les pays du G7, et l'Union européenne a réagi à ce coup d’arrêt par des sanctions économiques, énergétiques, financières et médiatiques. Une large majorité des pays refuse de s’y associer. Washington perd une partie de son contrôle sur le monde et les institutions une partie de leur légitimité. L’instabilité se répand et le peuple ukrainien trinque.


Les horreurs de la guerre sont encore confinées, contrairement aux impacts économiques énergétiques et alimentaires. Est-ce qu’un nouvel ordre économique va émerger, avec ses conséquences sur les océans ? Difficile de se faire une opinion juste car de nombreux spectateurs sont contraints d’observer comme dans la caverne de Platon en ne voyant que des ombres, malheureusement en une seule dimension.


1 - La perte d’hégémonie américaine est-elle durable, ou la fin de la guerre en Ukraine marquera-t-elle le retour au monde d’avant ?


L'appel de l'Occident à rallier le monde contre la Russie n'a pas été suivi, et l’inévitable confrontation américaine avec la Chine risque de l’être encore moins.


Les Occidentaux luttent pour gagner les cœurs et les esprits chez les indécis, mais leur ordre mondial fondé sur 3 points controversés, inquiète plus à l’extérieur, que les atrocités russes en Ukraine ou la projection de puissance de la Chine.

  • Le premier de ces points est le protectionnisme économique des Etats-Unis et de l'Europe occidentale, illustré par les sanctions, qui ne touchent pas que la Russie,

  • Le deuxième de ces points est le rejet des valeurs et principes prônés par l'Occident, l’incompréhension sur les questions des droits de l'homme et des changements environnementaux.

  • Le troisième obstacle est le déclenchement d'une « guerre culturelle » au sein des sociétés occidentales, en particulier la société américaine, dont les théories progressistes ne séduisent pas. Les minorités semblent imposer leur loi, dans une démarche contraire à la démocratie de type occidental qui ne séduit plus.


Les raisons de cette désaffection sont indépendantes de la guerre en Ukraine qui n’a servi que de révélateur. Il est donc plus que probable que les Etats-Unis vont progressivement perdre leur domination même s’ils gagnent la guerre d’Ukraine par proxies interposés. Mais il n’est pas certain que cela profite à la Chine.


2. Vers un système multipolaire

Le refus des sanctions occidentales, la perte d’influence de l’ONU a fait surgir plusieurs pôles.

  • Le premier est le bloc démocratique occidental dirigé par les États-Unis, le G7, l’Union européenne. Il comporte des failles.

  • le deuxième est le bloc eurasien avec la Chine, l’Inde et la Russie, dans lequel on trouve aussi l’Iran et certaines républiques d'Asie centrale. Ils veulent se structurer dans les BRICS + mais surtout dans l’Organisation de coopération de Shanghai qui à Samarcande s’élargit à l’Iran et accepte une dizaine de pays, notamment du Moyen-Orient, comme observateurs.

Cette unité de façade masque de profondes rivalités dans cette alliance de nécessité. La Chine poursuit son objectif hégémonique de 2049, l’Inde jalouse de sa souveraineté a profité de l’opportunité russe, mais est courtisée par les Etats-Unis dans l’indopacifique, la Russie ignore la Chine dans sa nouvelle doctrine navale de juillet 2022. L’Iran sort de son isolement. Tous ont un point de ralliement, tous contre l’OTAN, mais aussi de plus en plus tous sauf un contre la guerre.


Aux côtés de ses partenaires, la Russie annonce sa volonté de se tourner vers la mer, Le 31 juillet 2022 le président Vladimir Poutine a signé son premier document de sécurité depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, un décret de 55 pages approuvant une nouvelle doctrine navale mais aussi maritime, qui affirme l’ambition géostratégique de la Russie,

  • Le troisième comprend les pays d‘Afrique et du Pacifique qui tentent de sortir de la tutelle politique, économique et financière occidentale, sans s’aligner automatiquement sur le bloc eurasien. Ce bloc ne veut pas que son herbe soit piétinée par les éléphants.

Enfin quelques pays tentent de faire la passerelle, tels la Turquie équilibriste membre de l’OTAN qui frappe à la porte de l’organisation de coopération de Shanghai, tout en armant l’Ukraine pour étendre sa pénétration culturelle et économique et Israël avec les accords d’Abraham pour élargir son glacis et sa sphère d’influence.


3. Les frictions entre les pôles


Comme les 2 principaux blocs comportent des forces nucléaires, l’affrontement militaire se fait d’un côté entre Ukrainiens par procuration des Américains, contre Russes sur un terrain non couvert par la dissuasion.


3.1. Les opérations navales, très classiques en mer Noire, d’Azov ou Caspienne ont consisté en blocus, en opérations amphibies, en appui naval, par les 21 grands bâtiments de surface ou les 7 sous-marins de la flotte de la mer Noire, face aux drones et aux mines venant d’Ukraine, dont la marine a disparu. Elles ont confirmé les lacunes de la flotte russe. Ainsi la nouvelle doctrine navale en tire les leçons, la Russie décide de se doter des moyens de construire des porte-avions pour lutter contre la marine américaine et ce malgré les missiles hypersoniques. Face aux sanctions occidentales elle décide également de rationaliser sa flotte de sous-marins aux modèles trop différents difficiles à entretenir. En dehors de la perte du Slava et de quelques unités anciennes de second rang, la marine russe sort intacte du conflit.


3.2. Les gains terrestres russes en Crimée et dans les provinces de l’Est ukrainien à l’exception de la ville de Catherine la grande de 2014 et de 2022 ont accru momentanément le contrôle russe des mers. Fut-il totalement illégal au regard du Droit international, il donne à la Fédération de Russie, un vaste espace maritime au-delà de la mer d'Azov et aboutit de fait avec la Turquie, l'autre acteur majeur dans cet ancien lac, à un quasi partage de fait de la mer Noire, mer délaissée par les pays occidentaux depuis la fin de la guerre froide, les marines bulgares et roumaines étant insignifiantes. Russie et Turquie peuvent ainsi pousser leurs intérêts en y construisant un nouvel ordre régional à l’abri des intrus, qui permet à la Russie d’atteindre la Méditerranée. Mais l’armée de terre russe y a laissé des plumes, un seul exemple, selon 2 sources (Oryx et MOD), 23 pertes de l’hélicoptère d’attaque KA 52 Alligator, un parc de 90 ou 127. Va-t-elle être contrainte de se retirer sur son glacis nucléaire ?


3.3. La rivalité est plus dans des domaines matériels, Elles redistribuent les routes de l’énergie, gaz ou pétrole, car les sanctions ont changé les circuits entre producteurs et consommateurs, rendant caducs certains gazoducs et oléoducs, compensés par les pétroliers ou les méthaniers. De nouvelles routes apparaissent pour le blanchiment de l’or noir. Le gaz alimentait l’Europe selon une trajectoire Est Ouest, c’est maintenant par une trajectoire Ouest Est. Cette reconfiguration des flux exige d’adapter les infrastructures, les raffineries, les usines de liquéfaction (doubler le nombre de terminaux GNL, d’ici 3 ou 4 ans) et d’ouvrir de nouvelles routes maritimes pour compenser l’inadéquation aux nouveaux flux des oléoducs et gazoducs. Elle requiert un recours accru aux pétroliers et méthaniers dont le besoin et la circulation s’accroissent, augmentant les tensions sur les routes maritimes, notamment dans les détroits (94 navires le 7/11/2022 contre 55 en moyenne à Suez).


L’alimentaire, secteur qui peut engendrer la crise la plus grave pour le monde, parce qu’il ne se règle pas avec la planche à billets parce que "les banques centrales ne peuvent pas imprimer de blé et d'essence". Même si le bloc eurasien comprend de gros producteurs agroalimentaires qui nourrissent en grande partie des régions menacées de famine (ainsi 90 % des céréales consommées en Somalie viennent de Russie et d’Ukraine), des fonds d'investissement américains ont investi dans des entreprises agroalimentaires ukrainiennes pour conforter la main mise occidentale sur le secteur. C’est une des raisons de la facilité avec laquelle un accord a pu être trouvé à Istanbul, même si la Russie connaît toujours des difficultés pur exporter dans les ports occidentaux et pour s’assurer. Une leçon de la guerre en Ukraine est que le nucléaire est une arme mortelle qui ne peut pas être utilisée, alors que le blé n'est pas une arme, mais le simple fait de le bloquer le rend plus mortel.


Les sanctions, prises en réaction à l’agression russe touchent le monde entier, impactent les routes maritimes de la mondialisation et font émerger de nouvelles routes régionales.


La crise financière créée par l’exclusion de la Russie du système d’échange d’information financière SWIFT pousse la zone eurasiatique à se « dé dollariser » combinant yuan et dans une moindre mesure rouble. Ce software financier circule à 99 % sur un hardware maritime (10 000 milliards de dollars par jour). Avec cette interruption toutes les conditions sont réunies pour faire des câbles sous-marins, une source de conflits au fond des océans, car les intérêts financiers divergent. La Chine développe une route de la soie électronique. La marine russe est particulièrement bien équipée pour la guerre des profondeurs, les Russes avec le Yantar navire océanographique collecteur de renseignements, et le sous-marin BS-64 Podmoskovye et le Losharik , la Marine américaine n’est pas en reste avec ses SEALS et le sous- marin USS Jimmy Carter. Un mois après les incidents sur North Stream, des câbles où transitent d’importantes données financières ont été sectionnés en Ecosse et dans le sud de la France.


Toujours sous la mer la Russie dans sa nouvelle doctrine navale confirme sa volonté d’améliorer sa capacité de mise en place de gazoducs et d’oléoducs, de robots sous-marins, pour devenir autonome dans la production d’énergie fossile à la mer, décidé avant le sabotage de North Stream 1.


Même si la Russie sort diminuée de cette guerre, ces blocs vont s’affronter à terme dans une féroce compétition politique, économique et militaire, au gré des événements et des alliances de circonstance, et vont tout faire pour fragmenter les blocs rivaux.


4 . La puissance maritime menacée, les Etats-Unis


Alors que le gouvernement américain est engagé dans une confrontation ouverte avec la Chine et la Russie, le citoyen américain ne considère ni l'un ni l'autre comme une menace réelle.


Les Etats-Unis ont 3 objectifs stratégiques, la Chine la priorité, l’Europe et le Moyen-Orient.

Maîtres du jeu ils ont décidé de régler durablement le problème européen avant que la Chine ne prenne trop d’importance, avec la volonté de maintenir la suprématie américaine en empêchant l'émergence de nouvelles puissances majeures concurrentes, selon le Guide de planification de la défense pour les années 1994-1999. Le général Eisenhower écrivait dans ses Mémoires sur la Deuxième Guerre mondiale, Croisade en Europe, que les Etats-Unis avaient deux ennemis, le Japon dans le Pacifique et l’Allemagne hitlérienne. Il fallait décider d’une priorité. « A ma connaissance, aucun stratège compétent n’a jamais mis en doute la sagesse du plan consistant à diriger la masse de notre puissance contre l’ennemi européen avant de nous livrer à une campagne de grand style contre le Japon ». Pour l’Américain, un seul ennemi, l’Indien ou le confédéré mais pas les deux à la fois. Ainsi pour les Etats-Unis d’aujourd’hui la Chine est un ennemi fondamental, alors que la Russie n’est qu’une menace aiguë.


Il faut garder à l’esprit que les grandes puissances agissent par une stratégie globale qui mélange soft et hard power. La stratégie militaire n’en est qu’une des composantes. Le soft power américain utilise au premier chef les spéculateurs et le dollar dans sa fonction de monnaie internationale, Il se manifeste également dans l’arme économique, le blocus, l’embargo. Les sanctions extraterritoriales ne cessent de prendre de l'ampleur et sont devenues une arme privilégiée de la diplomatie américaine qui veut sanctionner ceux qui ne suivent pas sa ligne politique. Le soft power américain a souvent recours aux fondations et aux ONG contrôlées par l’appareil d’État.


Venons-en au hard power La stratégie américaine repose sur une assertion, les frontières nationales ne sont pas sur les côtes américaines, mais sur celles de l’adversaire ou du rival. Entre les deux la marine américaine doit acquérir la maîtrise des océans. Cette position est de plus en plus contestée. Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les Etats-Unis cherchent à endiguer leur adversaire, le « containment », Ce fut le cas avec l’URSS, maintenant avec la Chine. Ainsi leurs frontières avec la Chine se trouvent en mer de Chine. Pékin ne l’entend pas ainsi. Il veut les mettre à l’Est de la ligne de neuf traits. Avec la Russie, les Etats-Unis voulaient placer la frontière en Ukraine.


En soutien de cette stratégie, les Etats-Unis ont développé le concept de l’Indopacifique. Dans l’Océan Indien ils s’appuyaient sur l’Inde avec qui ils ont signé les accords LEMOA, mais aussi dans le Pacifique où l’Inde était un partenaire du Quad. Mais l’Inde à l’occasion de la guerre en Ukraine a pris le parti russe, ouvrant la porte à toutes les spéculations. Les Etats-Unis ont baissé la garde dans le Pacifique laissant une ouverture à la Chine. Ils tentent de se reprendre en convoquant le sommet des îles du Pacifique pour accroître leur présence diplomatique et leur fonds de développement. Mais le mal est fait la Chine étend maintenant sa tentacule orientale des « routes de la soie » jusque dans les Caraïbes, mettant à mal la doctrine Monroe, contournée par le soft power chinois.


Leur maîtrise des océans est remise en question par le viol du droit international. La liberté de navigation est de plus ne plus menacée par l’appropriation chinoise en mer de Chine, même s’ils persistent courageusement à envoyer des bâtiments de guerre naviguer dans le détroit de Taïwan où la pression ne peut cesser de monter jusqu’à l’incident de haute intensité. Ils s’arc-boutent sur les institutions internationales mais leur position est fragile, car ils ne ratifient pas les traités qu’ils signent, notamment la convention sur le droit de la mer de Montego bay.


Elle l’est également dans les forces navales. Les unités de la marine chinoise sont d’ores et déjà plus nombreuses que celles de la marine américaine. Si vous additionnez les marines des principaux pays du bloc eurasien, vous avez une formidable flotte, mais avec ses faiblesses face à celles du bloc occidental, faiblesses humaines et tactiques. Cette tendance devrait s’accentuer par les leçons de la guerre en Ukraine où les armées de terre occidentales vont argumenter sur les batailles de chars, en décalage avec la dissuasion.


Ils vont avoir à lutter sur un nouveau front la guerre des grands fonds, dont le premier avatar spectaculaire a lieu en mer Baltique le 29 septembre sur North Stream, amant les coupures de câbles de fin octobre.


Les Etats-Unis ont donc du souci à se faire dans les océans face à la Chine, rival de plus en plus haute intensité, avec Taïwan au cœur de leur rivalité, et comme on le verra face à la Russie dans l’Arctique.


5. La puissance émergente chinoise


La Chine agit selon 2 principes :

  • Intangibilité des frontières reconnues par l’ONU -

  • Non-ingérence dans les affaires intérieures, avec prudence et légitimité.

Elle noue des partenariats plutôt que des alliances. A la lecture des choix stratégiques du Parti, on constate que la rivalité avec les États-Unis est partout, de la technologie à Taïwan, en passant par la guerre en Ukraine. L’exercice du pouvoir de Xi Jinping va se cristalliser sur le conflit avec l’autre puissance redoutée et jalousée plus que sur les difficultés internes vers 2049.


Elle répugne à utiliser la force contre les puissants, privilégiant un soft power à base de puissance industrielle et commerciale, et de ses instituts Confucius qui sous couvert de cours de langues, formatent les esprits, répandent ses normes clé du commerce. Sun Tzu disait que « les armes sont de mauvais augures, car le vainqueur sera haï par le vaincu et ses ressources seront d’autant plus difficiles à exploiter sur la durée »


La Chine conserve malgré la guerre le besoin de stabilité pour développer ses deux tentacules dans les océans Pacifique et indien de Ydaï Yilu, la Belt and Road initiative, vitale pour sa croissance, qui va plafonner à 2 % en 2022. L’instabilité en Ukraine la gêne. Ainsi l’interruption de la ceinture de voies ferrées qui passait par Moscou a imposé de renforcer un temps les besoins maritimes, car pour ne pas perdre le marché occidental, la Chine respecte le volet commercial des sanctions.


La puissance chinoise émerge sur mer sous couvert du rouleau compresseur des routes de la Soie, plus géopolitique que géoéconomique dont l’attractivité baisse. Vecteur de la puissance commerciale et des instituts Confucius, arme pour briser le "containment". C’est, dans sa vision de la BRI, qui est beaucoup qu’un réseau de routes maritimes, et accessoirement de ceintures de voies ferrées, complétées par les routes de la soie électronique. Les deux tentacules enserrent la planète l’une par l’océan Indien, l’autre par le Pacifique où la Chine a essuyé en 2021 un échec en Australie avec l’accord AUKUS. Ils cherchent sur les deux branches des points d’appui, le collier de perles dans l’océan Indien soutenu par Djibouti, une base dans le Pacifique, où les nations insulaires tentent de résister, le Vanuatu lui fermant ses portes. Mais la Chine a profité de la guerre en Ukraine qui accaparait la diplomatie américaine pour acheter les îles Salomon du Commonwealth. Elle est très présente en Amérique du sud, contrôle le canal de Panama et certaines îles des Caraïbes, comme les Bahamas du Commonwealth également.


La Chine depuis 10 ans a triplé son budget militaire pour construire une flotte formidable, avec les deux attributs d’une grande marine, les sous-marins nucléaires et les porte-avions. Mais elle n’a pas encore le pouvoir d’élongation. Pékin a lancé son troisième porte-avions le Fujian doté de 2 catapultes.


6. Les puissances ethno centrées


6.1. La Russie et son ouverture fluvio-maritime


Depuis 10 ans la Russie a elle aussi triplé son budget militaire. La Russie veut saisir l’opportunité, que lui procure la guerre en Ukraine, pour faire progresser son expansion maritime. »

Pour échapper aux sanctions la Russie, modernise l’interconnexion de l’Eurasie.


Généralement, les puissances qui ont des ambitions maritimes veulent remodeler les mers par des corridors de voies ferrées ou le creusement de canaux, comme le fit l’Occident d’hier avec Panama et Suez, Kiel ou Corinthe au XIXe siècle. Des projets existent, chinois, turcs, iraniens, en Thaïlande, autour d’Istanbul et ailleurs. La Russie n’y échappe pas, en développant le lien entre la Baltique et l’Océan Indien ou à la Méditerranée par la mer Caspienne. Elle trouve dans son isolement de l’Europe une motivation pour réactiver, encore modestement, le réseau fluvial et ferré, appelé corridor Nord/Sud ou INSTC au service de l’expansion vers l’Asie pour relier Saint -Pétersbourg à Bombay en 15 jours, reliant l'Inde, la Chine, la Russie et l’Iran en, s’insérant dans la BRI, en échappant au contrôle occidental, notamment à Suez, autour de la mer Caspienne, tout comme en mer Noire. L’accord signé en mars 2021 entre la Chine et l’Iran, pétrole contre infrastructures peut contribuer à réaliser les 164 km manquant en Iran. L’Iran peut ainsi exporter ses drones en Russie sans craindre un embargo et surtout accroître son influence en Asie centrale.


Elle construit une flotte adaptée à la mer Caspienne, à base de navires polyvalents capables d’une cargaison de 300 conteneurs EVP, on est loin des 23 000. Elle créé ainsi un corridor anti sanctions occidentales


6.2 La Russie navale


La rupture de la Russie avec l’Occident et ses déconvenues sur le champ de bataille lui permettent de sortir du piège de la malédiction continentale pour se tourner vers la mer ; encouragée par ses faiblesses sur terre. Elle veut rehausser sa visibilité dans le monde, par une stratégie globale, économique, diplomatique et militaire. Il n’a pas éveillé l’intérêt français, illustrant ce propos de Régis Debray tiré de Tous Azimuts, la France physique est amphibie, la France guerrière et militaire est hydrophobe.


Dans la tradition initiée par Pierre Le Grand, la Russie cherche à basculer une partie de sa puissance du continent vers les océans, suivant le conseil de l’indémodable sir Walter Raleigh,

« Celui qui commande la mer commande le commerce ; celui qui commande le commerce commande la richesse du monde, et par conséquent le monde lui-même. » La dimension géoéconomique de la crise en Ukraine, en contribuant à réorienter les flux de la mondialisation, lui donne l’opportunité de se placer. Mais dans cette vision la Crimée qui abrite la base de Sébastopol devient un enjeu vital, avec tout ce que ça sous-entend.


Cette ambition navale marque une rupture avec l’histoire moderne de la marine soviétique puis russe. « L'URSS, disait W. Churchill, est un géant auquel on a bouché les narines ». V Poutine veut les déboucher. La crise de Cuba en 1962, qui présente des similitudes avec les événements qui ont précédé l’invasion de l’Ukraine, est à l’origine de ce regard vers la mer. Avec la chute de l’URSS sa puissance décline. Avec l’Ukraine elle perd son principal chantier naval de porte-aéronefs, mais conserve comme assurance-vie une redoutable flotte sousmarine. Le divorce avec l’Occident entériné en Crimée en 2014, marque le point de départ du renforcement de la Marine.


Quel que fut le dirigeant, l’URSS puis la Russie ont toujours suivi leur doctrine navale. La nouvelle doctrine affiche clairement que "la politique stratégique des États-Unis visant à dominer les océans du monde et les mesures prises par l'OTAN pour s'approcher des frontières russes constituent la principale menace pour le pays,… un défi majeur pour la sécurité nationale de la Fédération de Russie". Elle s’inspire des théories du stratège américain Alfred T. Mahan en soulignant le danger de l'absence de bases logistiques outremer. La Russie lance un défi à l’hégémonie navale américaine. Après le collier de perles chinois, le bracelet d’opales indien, la Russie mentionne l'intérêt de développer une coopération navale avec l'Inde, l'Iran, l'Arabie saoudite et l'Irak, et les pays riverains de l’Océan Indien sans aucune mention de la Chine, lançant un nouveau bijou, les broches d’ambre. Tartous en Syrie, porte du Moyen-Orient et profiter du coup d’État d’octobre 2021, pour avancer ses pions à Port Soudan, porte orientale de l’Afrique.


La Russie divise les mers en 3 zones.

La plus sensible d’une importance existentielle où les forces armées doivent défendre les intérêts russes, les eaux territoriales et la ZEE, les mers Caspienne, d’Okhotsk, et l’Arctique nettement présenté comme le nouvel eldorado économique, qui lui permettra de financer ses ambitions. Dans l’Arctique elle veut maintenir sa primauté et contrôler la route du nord, alternative au canal de Suez dans l’océan Pacifique, dans une logique de non-contestation des zones vitales de la Chine -

Ensuite viennent les zones importantes, où l’utilisation de la force est prévue en dernier ressort pour garantir les intérêts nationaux, économiques et de sécurité, Méditerranée orientale, mer Noire, d’Azov, Baltique, détroits turcs, des îles Kouriles, danois, routes commerciales. dans l’océan Atlantique incluant mer Noire, Méditerranée et mer Rouge, et le golfe Persique, où la confrontation avec l’Occident est possible, elle veut maintenir la liberté d’action de sa force de dissuasion et la sécurité de ses voies de communication.

La marine russe se contentera de présence dans les autres zones.


6.3. L’Iran


Contrairement aux conseils occidentaux selon lesquels l'Iran accepte rapidement de revenir au respect de l'accord nucléaire et de remplacer le rôle de la Russie en tant que principal fournisseur d'énergie de l'Europe, l'Iran se concentre sur l'expansion de sa profondeur stratégique, l'établissement de nouveaux liens économiques avec des pays comme la Russie et des relations plus larges avec l'Asie, des pays comme la Chine et le Pakistan. De plus, la Russie voit l'Iran comme une opportunité d'accéder à de nouveaux marchés. Enfin l’Iran cherche à contrer la poussée turque en Asie centrale. L’Iran cherche également à contourner l’embargo dont elle est victime. En 2021 les pétroliers iraniens ont été attaqués 12 fois par la marine israélienne en mer Rouge. Ils peuvent maintenant contourner cette menace.


6.4. L’Inde


L’Inde cherche avant tout à conserver sa souveraineté. Bien qu’en rivalité avec la Chine, elle s’est rangée dans le bloc eurasien, car elle a besoin de la Russie qui lui procure la moitié de son armement et lui fournit ses engrais. Elle a acté le « partenariat stratégique global spécial » entre l’Inde et la Russie au 7ème Forum Economique de Vladivostok de septembre 2022. Elle se veut une puissance majeure de l’Indopacifique, où elle se range du côté américain (Quad, LEMOA), tout en refusant l’hégémonie américaine réaffirmée en Ukraine.


Conclusion


Il est clair que les Etats-Unis continueront à tout faire pour affaiblir la Russie, afin de ne pas avoir à lutter contre deux rivaux en même temps. Il est probable que la rivalité avec la Russie se transportera en Arctique, où la Russie, qui doit regretter d’avoir vendu l’Alaska, veut en faire son nouvel Eldorado. Sibérie et Alaska se retrouveront face à face avec peu d’opportunités de recourir à des proxies. Dans un réarmement naval général, la Russie est déjà une puissance navale notamment sous-marine et son réarmement va se poursuivre quand les positions seront figées à terre. Ce n’est pas en comptant ses chars qu’on se dit puissance militaire mais ses ogives nucléaires, ses sous-marins et ses porte-avions. La menace fondamentale chinoise finira par se réveiller de sa politique du zéro covid et poussera à composer avec la Russie.


La terre est sous le couvercle nucléaire, la mer y échappe. Bombarder une station d’atterrissage d’un câble sous-marin touche le sanctuaire national donc est passible de la dissuasion, couper un câble en mer non. Il est donc plus que probable que les divergences futures se régleront dans des affrontements sur mer de haute intensité. Le cessez-le-feu en Ukraine qu’on appelle tous de nos vœux ne marquera pas la fin des hostilités Est / Ouest. Il reste à espérer qu’il n’y aura pas d’escalade en Crimée, où la défense de la base navale de Sébastopol, vitale pour l’expansion maritime de la Russie ne pousse pas à l’irréparable. Tant qu’il y aura des sanctions il y aura des tensions en mer. La France de l’hydrophobie de Régis Debray saura-t-elle en tirer les leçons ? On peut s’interroger car la rendre hydrophile n’est pas coton !


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